Bonjour Monsieur St Jacques 4

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Vendredi 2 juillet

Départ 5 h 30 de Castrojeriz.
Arrivée 14 h 15  Boadilla del Camino.
Grand soleil.
Éoliennes, petit col, photo d'une Japonaise au lever du soleil. Étape très belle, chemin entre cultures de blé et coquelicots, une mer jaune à perte de vue.

Je me retrouve en Homo Erectus, je marche sur mon ombre, plein Ouest, je cherche ma nourriture, je cherche à dormir et le lendemain, je recommence !… 

Les noms des villages ou villes se compliquent. Donc, je ne sais plus d'où je pars et ne sais pas où j'arrive !
Grosse, très grosse fatigue.
Ça me fait trop rire ! J'ai beau regarder ma carte, je n'imprime plus rien, comme disent les jeunes.
Si je n'avais pas mon journal, je ne saurais même plus le jour !
Fromista m'attire, mais ce sera Bodillo, 20 km pas 26.Na !
En chemin, deux énormes lézards verts (50-60 cm) avec une tête préhistorique débouchent devant moi à 4 m. Hou ! Les vilaines bêbêtes, ça me fait froid dans le dos ! limbert.jpg

Albergue avec piscine près de l'église et hôtelier au regard coquin sur les femmes, quelque soit l'âge. Retrouve Nicole, Anne, Danielle.
Anne me dit :
- Petite tête, tu as tout oublié, ton sac de couchage et ton miam-miam dodo ! Tiens, les voilà ! 
- Mais non, Anne, j'ai laissé un mot, comme quoi j'en faisais cadeau. Mon sac est trop lourd et ma hanche me fait souffrir.
Crise de rire et larmes coulent sur nos visages, on a mal aux côtes !
Visite des pigeonniers, la tour nous réserve une surprise.
À l'intérieur, c'est une construction en forme de labyrinthe.
Assez époustouflant d'ingéniosité ou comment caser le plus possible de pigeons.
Sur la place près de l'église, un superbe Rollo Gotico du XVe, ou pilori.
Une pensée pour tous ceux qui se sont balancés sans le vouloir, au bout d'une corde, sous l'œil goguenard de "la populace".
Le soir, repas en commun avec des Allemands et deux prêtres polonais. L'Allemand dit aux Polonais :
- Entre la Fance et l'Allemagne, c'est une histoire douloureuse, que nous devons nous faire pardonner.
Je lui réponds : 
- Nous ne sommes pas (notre génération) responsables des erreurs de nos "pairs".
Il a les larmes aux yeux !

 

Samedi 3 juillet

 Départ Boadilla 6 h.
Arrivée Carrion de Los Condes 14 h 15.
Beau temps.

  canal de castille

Magnifique passage des écluses du canal de Castille à Fromista, puis un bonjour à la statue de Pedro Gonzalo Telmo qui a donné son nom au feu de St Telme, connu par les marins. Très beau parcours en compagnie de Danielle, riche d'Histoire et de petites histoires, car nous nous racontons un peu nos parcours de vie.
Bars tous les 4 km, chemin plat, légèrement monotone. 
Arrivée chez les Clarisses. Beau dortoir. Enfin de vrais lits, pas de lit à étage C'est trop beau !

Visite de l'église, une magnifique crèche avec une cinquantaine de personnages.

Un euro dans une boîte et tout s'anime, il y a même un ange qui passe… dans le ciel, je regarde, bouche bée, le forgeron dans sa forge, le maréchal- ferrant et son cheval, le meunier, c'est magique, j'ai cinq ans ! 

Le soir, repas de tapas mémorables, avec écrevisses et plein de choses inconnues, franchement délicieux !
Rencontre avec un illuminé de Nice ! "Ché" plus son prénom, on ne le reverra plus.

 

Dimanche 4 juillet

Départ Carrion 7 h.
Arrivée Lédigo 13 h.
Grand soleil.

Route monotone et rectiligne, aucun village sur 20 km jusqu'à Calzada de la Cueza. Je chemine avec Danielle.
On rencontre un couple, moyenne d'âge 65 ans.
On les retrouvera plus tard. C'est un curé et "la miraculée de Lourdes 1957" comme elle signe sur les livres d'or…
Je suis crevée, j'ai dépassé les 20 km, c'est trop pour moi. Je me suis pourtant delestée de mon sac de couchage chez les Clarisses. Danielle m'offre une chambre à deux lits. Il y a une piscine, petit plongeon en slip et soutien-gorge, je n'ai pas pris de maillot de bain.
Première albergue un peu cracra depuis le départ.
Miam-miam et gros dodo.

 

Lundi 5 juillet

Départ Ledigo 7 h.
Arrivée à Sahagun 13 h.

Durant le chemin, j'explique à Danielle, que j'aime de temps en temps, faire un tour sur moi même de 360°, afin de voir le paysage sous un angle différent et me rendre compte du chemin parcouru.

  sahagun.jpg

Albergue mythique dans une ancienne église.
Très jolie ville et une pharmacie avec un écriteau "Ici, on parle français"
une balance, un appareil à tension, des médicaments pour ma fin de rhume,
et mes débuts d'ennuis avec les mosquitos (ils se sont abattus sur moi, chez les Clarisses).

 

Mardi 6 juillet

Départ Sahagun 7 h.
Arrivée El Burgo Ranéo 12 h,  albergue Domenico Laffi. 

Chemin monotone. Je suis seule.
D'un chemin perpendiculaire, un homme, chapeau de paille sur la tête, vêtu d'un survêtement bleu, apparaît. Il s'arrête et me regarde avec insistance, puis repart en sortant un portable de sa poche.
Mon instinct de survie réagit !
Et s'il téléphonait à un comparse, pour me prendre en étau.
Coup d'œil pour surveiller mes arrières. Je chemine, le bâton pointe en avant, fermement maintenu.
J'échafaude :
Un coup de pied entre les jambes, puis feinte, un coup de pic dans le bide, comme à l'escrime !
Une haie ; je ne vois plus que le chapeau, je m'arrête, le chapeau aussi ! Re-coup d'œil derrière, personne !
Je continue, le chapeau aussi, puis plus rien ! J'ai les sens en alerte. Encore 200 m, les plus longs de ma vie !
Une première maison, à la suivante, mon quidam est assis sur un banc de pierre et boit un café, en devisant gaiement avec une dame. Ouf !
- Buenos diaz, senor, senora.
Joli cinémascope en noir et blanc pour une peur bleue !…
Je retrouve Anne. Nicole chemine avec Danielle, mais cette dernière souffre de sa cheville et ira en taxi-bus jusqu'à Léon.
Pour moi, demain, c'est Mansilla, 20 km pas plus.

 

Mercredi 7 juillet

 Ben non, pas de Mansilla, ma hanche m'a empêchée de dormir et ni les médicaments, ni les massages ne l'ont soulagée.
L'hospitalier me dit :
- Si tu veux aller jusqu'au bout, c'est repos.
Prends le bus pour Léon, tu ne perdras rien, car le chemin est plat et insipide, sans ombre et on annonce 40°.
Hop, en avant Léon avec Danielle !
Arrivée 10 h 30.
C'est le 2e jour de repos complet, depuis mon départ.
On est sur la plazza Santa Maria et les doigts de pied en éventail, on sirote un vino blanco avec un toast au ramon (jambon) et un autre au queso (fromage).
Ah ! Le bonheur d'être avec les trois frères, Léon, Ramon et Ques(s)o, dis-je à Danielle.
Fou rire…
L'hospitalière, chez les sœurs, nous promet un dortoir comme un "boudoir". En fait, on est au sous-sol, avec un larmier, qui donne sur la rue très passante. L'enfer, ou peu s'en faut : le nez plus bas que les pots d'échappement et à 20 dans la pièce.
Ce soir, demi-finale Espagne-Hollande !
Nuit blanche, la ville est en fiesta !
Pour la finale, je choisirai un village de sourds et muets,  sans télévision !… 

 

Jeudi 8 juillet

Départ à 7 h de Leon (trop tard).
Arrivée 13 h Villadonga del Paramo (le désert).
En sortant de la ville, je croise la statue de St Jacques, assis, face à un immense palais.
Instinctivement en passant près de lui, je lui caresse le genou et m'aperçois que je ne suis pas la seule à l'avoir fait, il a ses deux genoux brillants comme de l'or.
Canicule et souvenirs cuisants.
Presque 1 h pour sortir de la ville et de sa banlieue, avec de la viande saoûle un peu partout : demi-finale oblige. Les Espagnols ont gagné.
Puis un chemin quasi-rectiligne en contrebas de la route, seule la barrière de sécurité nous sépare de la circulation.
Camions, camions, toujours camions et peur de l'accident, on ne sait jamais… et ils passent vite. Quinze kilomètres sans un village. Quand j'en ai trop marre, je pense que je suis Blanche Neige et que les nains me poussent aux fesses. C'est Josette, une amie, qui m'a donné le truc, ou bien, je chante à tue-tête, et ça marche. 
Un passage de sable et de cailloux long de 2 km, emprunté par les camions, pour aller se parquer dans une zone commerciale. Chaque fois le même scénario, demi-tour, yeux fermés, foulard devant le nez, pendant le passage du camion pour ne pas avaler trop de poussière, et c'est l'arrivée à l'albergue.
Couverte de poussière rouge, suante, assoiffée.
Je suis dans un Western spaghetti, Morricone n'est pas loin !… 
Même après la douche, je sue encore, il doit faire 40°. L'albergue est au bord de la route, mais les dortoirs sont côté opposé. J'ai la surprise d'avoir un box avec 2 fois 3 lits dont seuls 2 sont occupés et surprise agréable, je retrouve le couple de Brésiliens, Thérésa et Luis. Puis arrivent, en se jetant dans mes bras, Marie-Sol et Lorenzo, son mari. On s'embrasse, on se tape dans le dos.
- Qué tal ?
- It's ok?
- Bueno, bueno.
La fatigue est partie comme par magie, tout va bien, on est en pays de connaissance.
On tombe d'accord, la fin de la Meseta est vraiment merdique.
Je décide de prendre le bus  pour Astorga avec Thérésa (qui a toujours sa tendinite sous le pied) et Lorenzo, pour veiller sur nous.
Je retrouve aussi Francis et deux Anglaises. Francis fait à manger pour tout le monde et on met le reste en commun.

 

Vendredi 9 juillet

Départ 7 h 45 de Villadangos.
Arrivée 8 h 45 Astorga.
Temps chaud, léger vent.
 

Premier regard sur le palais Gaudi !

Je prends un petit déj' au bar du même nom.

Un pèlerin de 7 ans me salue :
- Buenos dias, senora, buen camino !
Il a un petit sac à dos, un bâton et il tient la main de son père, manifestement il est fier comme Artaban.
Sourire, je lui réponds en français, puis en espagnol. astorga.jpgLe bar Gaudi : air climatisé, fauteuils-club, café con leche, croissant. Je jouis de la vie.
Recherche d'une pharmacie sur la plaza Mayor, je tombe en admiration devant une officine fin XIXe, début XXe.
L'entrée en arc de cercle ne peut contenir plus de deux personnes.
La délicieuse pharmacienne est aussi âgée que le décor.
Vieux pots à pharmacie en porcelaine décorée, tout est d'époque, la poussière aussi.
Aux murs, boiseries jusqu'au plafond.
Pour la première fois, je regrette de ne pas avoir pris un appareil photo.
Je lui explique combien je souffre de ma hanche.
Pommades, cachets, sourires, compliments sur son officine "It's very nice !" carte vitale européenne et hop je suis parée.
En route pour l'albergue plazza San Francisco et visite de la ville.

Normalement je dois retrouver Danielle. Pas de Danielle. Elle est ou devant ou derrière et sans  n° de portable.
Sieste et bonne nuit de repos.
Un peu triste d'avoir raté le rendez-vous. Vais-je la revoir ?…

Astorga, c'est une ville de cocagne ! Spécialités : chocolat, petits gâteaux secs et glaces maison ! Miam…
Comme j'ai perdu 5 kg, je me permets une petite glace, re-miam !… 

 

Samedi 10 juillet

Départ 6 h d' Astorga.
Arrivée 13 h Rabanal del Camino.
Jolie marche, ça monte tout en douceur. Je suis sur la Maragateria, sur le versant est, des monts de Léon.
Il y a un village tous les 4 km. C'est ce que j'appelle un " walk, walk, stop ! glouglou".
Je retrouve Yvan juste 2 mn.
Arrêt et coup de tampon dans la chapelle Ecce Homo.
Rabanal est en fête, il y a un mariage.

L'albergue est sympa et il y a un bar juste à côté, avec un taulier moins sympa, voire désagréable.
Je retrouve deux Coréens (qui se ressemblent comme des frères), souvent rencontrés dans les albergues.
Présentation : 
- Marie-Françoise.
- Kim,
- and Kom.

Je ris
- Ha !  DuponT and DuponD.
- Ho yes, Tinne-tinne !
Re-rire, Tintin est universel.
Petite lessive et grande sieste.
Car, demain, lever 5 h, c'est le Grand Jour… Je vais me délester de 30 gr.

 

Dimanche 11 juillet

Départ Rabanal 5 h.
Arrivée El Acebo 13 h 30.
Avec point d'orgue, la mythique Cruz de Ferro, alt. 1490 m.
Tout le monde en parle !

Départ 5 h avec la lampe de poche.
Enfin, je vois les étoiles !… Hé oui, couchée 9 h, levée 6 h, sur le chemin des étoiles, je n'en avais encore vu aucune.
Je file car je veux voir le soleil se lever sur la Cruz. Pas de petit déj'. Marche, marche, ma fille, va de l'avant, va vite mettre ta pierre fossile, sur le tertre au pied de la croix. cruz-de-fero.jpg

Dans l'air flotte une odeur de maquis corse et le sol est moquetté de bruyère rose thyrien.
Deux heures plus tard, j'y suis...  je n'en crois pas mes yeux ! Danielle est là, en train de remettre son sac à dos !
On se regarde, comme dans un rêve.
- C'est toi !…
- Oui, c'est moi !…
C'est con ! On a les larmes aux yeux.
Danielle ne pensait plus me revoir, moi non plus. Elle m'a écrit.
On se donne rendez- vous à Ponferrada et elle repart. Elle a de la route à faire, tandis que je reste pour une pause petit déj' et regarde le soleil se lever.
J'escalade le cairn et vais caler mon coquillage fossilisé au pied de la croix.

Imaginez un mât de cocagne de 4 ou 5 m avec au bout une petite croix en fer. C'est pas très beau, même un peu laid, mais ce mât serait le dernier des 400 pieux que le conseil d'Acebo aurait plantés il y a très, très longtemps, pour les pèlerins, en cas de neige (suivant mon livre). Respect ! Ca change le regard !
Arrêt casse-croûte chez Tomas l'hospitalero, à Majarin.
Tout est "donativo" café, thé, fruits et puis, Tomas vaut le détour, avec son habit de templier et sa cloche.
C'est un moment festif pour moi, avant la grande descente sur El Acebo.el-acebo.jpg

Mon Dieu comme j'ai aimé ce village ! Il m'a fait penser à la Savoie : toits d'ardoise, maisons aux balcons de bois resserrées sur la rue principale.
"Les hivers sont rudes par ici, il faut se blottir frileusement" semblent dire les habitations.
Dans l'unique petit magasin, je fais connaissance avec Josephina. Elle prépare avec amour des bocadillos pour les pèlerins et vous installe sous son parasol avec une cerveza, en disant qu'elle vous aime, pour tout ce que vous lui apportez. C'est pas beau, ça !
Mes amis espagnols et brésiliens arrivent. Effusions, tapes dans le dos, photos avec Joséphina.
Luis me fait comprendre qu'à Santiago, il me serrera fort dans ses bras, car il me trouve courageuse !
Ce sera, malheureusement, la dernière fois que je les verrai. Dommage ! 
L'albergue Paroquiale est "donativo" et le soir nous mangeons des pâtes à la carbonara cuisinées par un Italien, ensuite on va tous voir la finale. Pour moi, jusqu'à la mi-temps, après dodo.
Le dortoir a été tellement discret, ou moi tellement fatiguée, que le matin je ne sais pas qui a gagné !
El Acébo veut dire houx et il y en a partout. C'est trop beau.

 

Publié dans Camino Frances 2010

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