Bonjour Monsieur St Jacques

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 J'ai fait ce chemin à la manière de mes ancêtres primitifs.
Le besoin de voir plus loin que l'horizon, au fil des jours,
au rythme des heures, avec ce sentiment de curiosité
pour les êtres, les choses, les paysages.
Bonjour, Monsieur Saint Jacques,
me voilà !…

 Dimanche 13 juin 2010

 Départ en avion, Mulhouse-Bâle/Bordeaux 6 h 30.

 Ma fille, Anne-Cécile, m'accompagne à l'aéroport.

Je sens son angoisse à l'idée de me voir partir seule, pour ce périple de 800 km.

Elle ne comprend pas très bien ce qui me pousse à suivre ce chemin de grande randonnée.
Je lui explique que, non, je n'ai pas une recrudescence de ferveur religieuse, que non, je ne vais pas entrer dans les ordres, que non, je n'ai pas de choses à me faire pardonner.
J'ai juste envie de mettre mes pieds dans ceux de milliers de pèlerins, voir l'Espagne, connaître son Histoire, avec un grand H et vivre Ma petite histoire avec un grand M. 

 C'est vrai que j'ai un petit pincement au cœur car :
- Je n'ai jamais marché 2 jours de suite.
- Je n'ai jamais porté de sac à dos.
- Je n'ai jamais dormi dans un dortoir.

Les premiers jours vont donc être des jours de "première" fois.
Gros, gros bisous, on se dit qu'on s'aime et hop, dans l'avion, agitez les mouchoirs.
Arrivée Bordeaux, 8 h 30.
Train + car, arrivée St Jean Pied de Port, 18 h.

La vieille ville est superbe. 280px-Saint Jean Pied de Port Pont Romain

À la Réception des Pèlerins, je remplis ma fiche et j'ai droit à mon deuxième coup de tampon sur ma "Crédencial del Peregrino''.
Le premier ayant été donné par l'association franc-comtoise du chemin de Compostelle à Héricourt.
J'avais, au mois de mars, pris contact avec eux et suis allée à deux réunions, pour avoir des conseils.
J'avais été agréablement surprise par leur gentillesse et leur écoute.

 On m'attribue une auberge au pied de la forteresse de Vauban  et je fais connaissance avec Jeanine (sacré personnage ! ) et mon lit à étage, puis en sortant pour aller casser une petite graine chez Édouard, je fais connaissance avec mon premier pèlerin.
Vous savez, celui qui arrive crevé, plein de poussière, avec les pieds qui traînent parce qu'il ne  peut plus les soulever !
C'est un Canadien. Il explique à Jeanine, avec un accent à couper au couteau, qu'il a perdu son copain en cours de route.
Il s'appelle Yvan.
J'aurai avec lui, tout au long du chemin, mes plus beaux fous rires.

 Après un bon repas, gigot et vin de pays, et la visite de l'église Notre Dame du Bout du Pont, dodo, sommeil de plomb.
Mais il n'y a donc pas de ronfleur dans ce dortoir ?…

 

Lundi 14 Juin 2010

 

Lever 6 h, déjeuner à l'auberge, avec confiture et beurre,  puis en route pour le refuge d'Orisson.
Ma cheville me fait mal…
La veille à Bayonne, en voulant éviter une passagère à la sortie de la gare, j'ai sauté de côté et me suis mal réceptionnée sur ma cheville, emportée par le poids de mon sac à dos. Douleur fulgurante et persistante, larmes aux yeux,  mais bon, ça ira mieux demain dit la chanson !

Arrivée Orisson à 10 h.
Altitude 800 m, temps gris, froid, c'est aussi ça les Pyrénées !

Je vois des agaves et des vautours et des fleurs et des fleurs."Dis, Marie (c'est une amie, une crac en botanique), c'est quoi ces fleurs ?"… Et aussi dans un enclos, les fameux Pottoks, petits chevaux sympas et malins comme tout.
Rencontre avec Amar… Un cœur d'or, dans un corps d'ours (des Pyrénées, bien sûr). Alors là, c'est quelque chose !
Amar soigne les pèlerins bénévolement et sert les canons, derrière le comptoir, tout aussi bénévolement.
Une fois l'an, il amène un camion de médicaments à Santiago pour les pèlerins.

 - Toi, la petite, viens voir, t'as mal où ?…
Tripote ma cheville, miracle, plus mal.
Tripote ma main, qui avait eu un sérieux problème neuf ans auparavant,
miracle : plus mal. Si, si, faut me croire sur parole…On est sur le Camino, hein !

Après-midi, je file "essayer" ma cheville jusqu'à Notre-Dame d'Orisson ou de Biakorri, comme on veut.
Paysage grandiose à couper le souffle et Vierge, on ne peut plus laide. Je trouve sur le bord gauche du chemin, 300 m avant la Vierge, ma première stèle !
Et oui, on meurt aussi sur le camino !… Mais pour moi,

                                       TOUT VA BIEN, VRAIMENT PLUS MAL.

Je pousse un soupir de soulagement. MERCI ''Amar aux doigts d'or'', grâce à toi, mon camino a été supportable, jusqu'à Santiago.

 Le soir, premier repas en commun, avec une trentaine de personnes, re-gigot et dodo.
Nuit blanche…
Les Italiennes qui sont dans la chambre ronflent de concert et quand elles ne ronflent plus, vont pisser !
Nuit divine, nuit câline … 

Mardi 15 juin

 Après un solide petit-déjeuner, départ 8 h 30 pour Roncesvalles que j'atteindrai à 14 h 15.
Temps froid 8°, brouillard, vois rien du paysage.
Je fais plus ample connaissance avec Yvan. Les moutons forment un immense dessin sur la montagne, je lui dis :
- On devrait les relier avec un trait de crayon.
et il me répond avec son formidable accent québecois :
- Oui, mais l' ploûs difficile, c'est d' trrrouver l'n° 1.
J'aime son humour, on pique un fou rire.

 Le temps est brumeux et froid, à la fontaine de Roland. Après une descente vertigineuse, dévalant la montagne, c'est le col d'Ibaneta, puis Roncevaux. Coup de tampon et direction le refuge…
Alors là, les mots me manquent !… Un refuge comme une église, les pierres extérieures sont aussi les pierres intérieures, pas de crépi, ni peinture, du brut, que du brut, l'accueil aussi, c'est brut de décoffrage. Une centaine de places.
Nous sommes veillés la nuit, par deux hospitaliers et réveillés par le Salvé Régina le lendemain à 6 h.
Pas de repas, pas de petit-déjeuner. Strict minimum … Je fais un tour dans Roncevaux , visite la Capilla San Augustin, le tombeau de Sancho el Fuerte, géant de 2,25 m, vois la Vierge aux larmes de diamants. Pour me mettre dans l'ambiance du chemin, j'assiste à la bénédiction des pèlerins, dite dans la langue des pays enregistrés lors du tamponnement de la crédentiale.
C'est le bonheur !

 

Mercredi 16 juin

 Lever 6 h départ 7 h 30.
Temps gris, frais, mais agréable, l'air est léger, moi aussi.
Je pense faire 27 km et m'arrêter à Larrasoana. Ce sera Zubiri, 21 km et plein les bottes.
Un peu avant le chemin pour les pèlerins, une immense pancarte, SANTIAGO 770 km  et des brouettes.
Je prends conscience qu'il va falloir y aller, ça me fait rire, je me sens aérienne, les deux mains dans mes poches… C'est pas normal, et je me rends compte que j'ai oublié mon bâton !
Marche arrière toute, ça commence bien… Je l'oublierai plus d'une fois le long du chemin, mais reviendrai quand même avec. 

Petit-déjeuner à Burguette. zubiri

Après Lintzoain, la route est pavée d'immenses pierres, Los Pasos de Roldan, presque trop beau et puis, il avait une sacrée grande foulée, le fameux Roland.

Avant d'y arriver, j'ai fait un arrêt à Puerto de Espinal, pour casser la croûte.

J'ai bien fait, après c'est le déluge, jusqu'à Zubiri, où j'arrive vers 14 h 45, après avoir franchi le Pont de la Rabia ou Pont de la Rage. En effet, on disait que si un animal passait 3 fois sur ce pont, il serait guéri de la rage.
Descente dans un torrent de boue, l'eau passe par-dessus les chaussures, je suis trempée, mouillée jusqu'au slip.
L'albergue n'est pas chauffée. Il fait 8-10°.
On a droit aux papiers journaux pour bourrer les chaussures, mais c'est tout.
Je retrouve Yvan et ma petite Japonaise, connue à Roncevaux. Elle a éclaté une chaussure, dans la descente. Elle me fait un origami en forme de cygne.
Petite Japonaise, désolée, j'ai oublié ton prénom, mais je garde ton cygne précieusement. Il figurera dans mon tableau-coffre.

 

Jeudi 17 juin

Départ 8 h après un café "con leche" à "la machina" et petit cake.
Direction Pamplona, ma première grande ville.
Arrivée 15 h 30.
Temps pluvieux, frais.
Je cueille du chèvrefeuille et du tilleul. La pluie redouble à Larrasoana.
Mettre la cape avec les rafales de vent, le sketch de Dany Boon et son k-way, c'est du pipi de chat à côté. Le parcours reste agréable.

  pampelune.jpgL'arrivée sur Pampelune n'en finit pas. Un immense parc arboré sur plus de 2 km. Je retrouve Yvan et une petite Espagnole, nous franchissons ensemble les fortifications de la vieille ville et direction l'albergue Jésus y Maria, sise dans un ancien palais épiscopal.
Le luxe à l'état pur. Extra propre ! Draps en tissu, couverture, accueil chaleureux, internet. Choisir le premier étage pour dormir, c'est moins passant et cuisine au dernier étage.
Mais pour moi, après la douche, ce sera tortillas et vino blanco (le tout pour 3,80 €), dans un petit bar à 300 mètres de là.

19 h : dodo, crevée, je commence à avoir un peu mal à la gorge. Dans la nuit, c'est plus grave, peux plus respirer, ni avaler. Début d'une bronchite, doublée d'une sinusite qui me fatigueront pendant 15 jours.

 

Vendredi 18 juin

Direction Puenta la Reina.
Départ 8 h, temps plus que maussade, arrivée Puenta 16 h.
Arrêt dans un bar avec Yvan et la petite Espagnole. Suis pas bien du tout.
Traversée de Cizur Minor, son église romane. San Juan et sa commanderie des hospitaliers de St Jean de Jérusalem. Jolie marche, décor champêtre.
Puis, c'est la Sierra del Perdon avec son groupe de pérégrinos en silhouette chinoise profilé sur  fond de ciel gris, juste après les éoliennes et une sacrée montée.
Je cueille un petit bouquet de fleurs des champs, en pensant à celui qui voulait m'accompagner mais qui n'a pas  pu/voulu au dernier moment. Je le dépose, sous la patte levée d'un animal.
En me reculant pour admirer cet ensemble de sculptures, je m'aperçois que le bouquet est sous la patte de l'âne, ça me fait rire.

Monsieur Freud, au secours ! 260px-Image-Alto_del_perdon.jpg

Puenta la Reina, jolie petite ville aux maisons blasonnées.
Ici, chemins navarrais et aragonais se rencontrent. 
Regard sur les cigognes, nichées sur le toit de l'église du Crucifix, face à l'albergue.
Visite de la ville, après avoir déposé mon barda et pris une douche, puis recherche de nourriture.
La salle commune de l'albergue est bruyante et jouxte le dortoir. Il y a une machine à laver et un sèche-linge, ça me permet d'avoir des affaires propres.
C'est pas du luxe, croyez moi !
Je me couche vers 20 h, complètement crevée avec un peu de fièvre.
Je commence à somnoler, quand la porte s'ouvre et reste ouverte sur le brouhaha de la cuisine. J'ouvre un oeil et demande à la brave dame de fermer la porte. Elle peut pas, j'ai fermé les volets, elle voit pas clair pour faire son lit ; ça dure 15 mn.

Je trouve le temps long. La dame vitupère. C'est la première fois qu'elle voit un tel "merdier" , je lui demande si c'est aussi la première fois qu'elle rencontre une malade. Bref, échange de noms d'oiseaux. Je lui dis que je croyais que le camino était aussi le chemin de la tempérance et de la charité, me serais-je trompée ?J'espère ne plus la revoir.

 

Samedi 19 juin

Lever 7 h ,déjeuner.
Café con leche, une banane et des cerises.
Puenta la Reina, Estella arrivée  15 h 30.
Gris, brumeux, le vent se lève.
Froid au départ : collants, plus blouson.
Je passe le fameux pont de la Reine sur le rio Arga.220px-Puente la ReinaTraversée de Maneru, aux maisons blasonnées.
A Lorca, une petite halte et je fais connaissance avec le bocadillo ramon et caiso, sandwich au jambon et  fromage et une cerveza, pour faire passer tout ça.
Le chemin est superbe, voie et petit pont romain à Cirauqui dans un écrin de verdure.
À Villatuerta, visite de l'église de la Asuncion XII et XIVe siècles (enfin une d'ouverte). Une gentille petite dame me donne un papier en français qui m'explique les décors et les fresques. J'y fais halte et repense à cette fin d'année 2009 et début 2010.
25 décembre 2009, décès de Christian, le papa des enfants de ma fille Frédérique, Stan et Ian.
Le 1er janvier 2010, décès d'Antonio (mort brutalement dans son sommeil), le papa des enfants  de mon autre fille Anne-Cécile, Adrien et Manon.

Mes quatre petits - enfants perdent leur papa en l'espace d' une semaine !
Une boule me serre la gorge et  je pleure. La petite dame me serre dans ses bras "cansada, cansada" oui, peut être, aussi la fatigue. Ce sont mes premiers "100 km".
Jolie marche jusqu'à Estella, ville de l'étoile. En 1492 et, grâce à Jean d'Albret, cette ville accueillit les Juifs, expulsés de Castille.
Elle mérite l'arrêt et la visite, c'est superbe.
Refuge pèlerins, il est hyper  bruyant et mon lit est complètement défoncé.
Je retrouve Derik, un gentil Hollandais qui m'avait montré le chemin pour Orisson. Il a des percings un peu partout et marche avec une besace au côté. 
Je me shoote  à l' Ibuprofène. Pas le courage de manger, je vais au lit à 19 h 30.
Beaucoup de bruit, les Espagnols parlent comme s'ils étaient sourds. Ils ne parlent pas, ils crient. En plus, il y a de la musique  jusqu'à 22 h. Mais boules Quies et foulard sur les yeux, je suis dans un demi-coma, poum ! Dodo !

 

Dimanche 20 juin

 Petit déj' à l'albergue et départ pour Los Arcos 7 h 30.
Arrivée 15 h 15.
Temps brumeux, puis vent glacial.
J'ai mis le short, je le regrette, j'ai les genoux rouges de froid.
Passe par la fontaine à vin d' Irache dont on me parle depuis 2 étapes .
Il est 8 h 15. Je trempe juste les lèvres. Beurk, ça arrache, c'est de la piquette.
Je décide de faire halte à Villamayor de Monjardin, le nom me plaît, c'est poétique et après j'ai 3 heures de marche sans village. villamayor.jpgEn chemin, rencontre un écureuil. Je discute un coup avec. Il grignotte je ne sais quoi, dans son arbre et n'est pas trop farouche.
Stop "miam-miam-glou-glou" au bar Azketako, puis c'est une longue marche entre vignobles, cultures de blé et autres céréales. Trois heures de méditation et c'est Los Arcos, ville juive pleine de charme. Direction refuge Isaac Jacob, bon accueil, bon lit. Je retrouve, avec joie, Valère, un ancien garagiste et rugbyman à qui j'ai donné un peu d'huiles essentielles pour son genou qui avait souffert lors de la descente de la Sierra del Perdon. Je prépare des spaghetti à la piémontaise et l'invite, car je sais qu'il souffre encore. Le soir, il aura vis-à-vis de moi, un geste que je n'oublierai jamais !
Me voyant malade, il a demandé une couverture supplémentaire et m'a bordée, comme un bébé. Merci encore à toi Valère, j'ai passé une douce nuit. los-arcos.jpg

 

Lundi 21 juin

Au petit déj', je regarde mon étape.
Los arcos, Logrono 28,8 km !
Ben c'est beaucoup pour moi.
Je décide donc le stop-dodo à Viana.
Je vois aussi, pour la première fois, ceux que je nommerai les vaisseaux du désert.
Papa et fiston américains. Ils marchent à grandes foulées en synchro, le bâton jeté loin devant. Un plaisir de les voir de dos, moi qui trottine à petits pas. 

Publié dans Camino Frances 2010

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