Deba-Portugalette

Publié le par de-st-jean-a-st-jacques.over-blog.com

Dimanche 24 juin

Si j'avais une poupée, je l'appellerais terre.
Elle aurait de beaux yeux, des yeux bleus de rivière.
Elle aurait un manteau de fleurs et de forêt.
Où tous les animaux aimeraient se cacher.
Elle aurait une robe de lacs et d'océan.
Pierre Chêne

Destination Markina Xemen.
En partant de Foren plaza nous franchissons le pont sur le rio Deba puis nous montons progressivement pour atteindre la ermita Santo Cristo, avec une vue imprenable sur Mutriku, le plus vieux port de Guipukoa.
Aujourd'hui nous allons quitter la mer pour la vallée d'Olatz. Elle n'a que 2 km de long mais est restée très authentique.
De grosses fermes blanches aux poutres apparentes rouges égayent le paysage.DSC00210Elles possèdent  toutes une avancée pour permettre le repos ou le déjeuner à l'ombre.
Nous continuons notre montée à travers les hêtres et les pins.
La route est plus difficile, il me faut avouer qu'un mauvais choix de semelles me procure de vives douleurs aux orteils, depuis le départ.
À Olatz nous faisons connaissance avec une ravissante petite bonne femme tenant un chat noir contre elle.
Ce personnage m'intrigue ! Nous saurons plus tard son nom.DSC00190À midi, en-cas léger sur le bord du chemin. Nous voyons passer un groupe d'Espagnols babillant allègrement et qui nous salue.
Un marcheur a un étrange attirail, une caissette avec une poignée et dedans deux pots de moutarde !
Nous faisons 1 km. Un abri avec une fontaine !
Nous retrouvons nos Espagnols en plein pique-nique.
Ils nous hèlent. Nous prenons place parmi eux et nous voilà partageant leurs vivres.
Chorizo, pâté maison, gâteaux, chocolat. Deuxième en-cas pour nous.
Et l'explication des deux pots de "moutarde"…DSC00179  Le groupe balise le chemin et retrace, à la peinture jaune, les flèches. 
Bon, j'ai vraiment besoin de lunettes !…
Nous approchons de Markina Xemein.
Une dame nous prend par la main et nous mène jusqu'à l'église San Miguel de Aretxinaga.
Surprenant et surtout à ne pas rater.
Trois énormes pierres sont en équilibre les unes sur les autres au centre de l'édifice. Mais qui est le géant qui a  joué aux billes ?DSC00184Nous arrivons à 19 h 15 au couvent de Los Padres Carmelitas.
En chemin, nous avions décidé d'ouvrir coûte que coûte, la bouteille de vin blanc offerte, car elle fait son poids dans le sac à dos d’Étienne.
De plus, aujourd'hui, c'est son anniversaire.
La grande question c'est la fraîcheur, nul réfrigérateur dans les albergues jusqu'à présent.
À notre grande surprise, nous retrouvons Philippe, un pèlerin connu à Donostia. Il a une double tendinite au genou droit.
Le médecin lui a prescrit de la glace. Cette dernière est en train de fondre lentement dans le lavabo.
Elle nous servira à rafraîchir la bouteille et nous dégusterons le vin blanc avec trois autres pèlerins.

Lundi 25 juin
Parias la mort la terre et la hideur
de nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
nous en aurons raison.
Paul Eluard

- Hola ! Adolphe !
- Que puis je faire pour toi, Francisco !
- J'ai un petit problème avec des insurrections dans une ville en Biscaye
- Pas de soucis Francisco, je vais te régler ça avec l'aide de Musso.
J'ai justement des essais à faire.

Lundi 26 Avril 1937
Il est 16 h 30, jour de marché. La foule se réchauffe au doux soleil de printemps. Soudain, toutes les cloches de la ville sonnent le tocsin. Le ciel se couvre d'oiseaux noirs cracheurs de feu. Le soleil disparaît sous la fumée des incendies.
L'air est saturé de cris, de vrombissements, de fureur.
- Quatre escadrilles de Junkers JU52 de la légion Condor.
- Une escadrille VB 88 bombardement expérimental Heinkel HE 111 et Dornier DO17.
- Quelques bombardiers italiens Savoia-Marchett SM79, escortés par des Messerschmitt BF 109, fendent le ciel en trois vagues successives.
Cinquante tonnes de bombes incendiaires sont larguées sur la ville.

 19 h 45…                        L'HORREUR

La ville est dévastée… Tout n'est que ruines et cendres.
L'enfant qui ce matin prenait son déjeuner avec ses parents, ce soir est orphelin.
La jeune femme, fraîchement épousée, deux jours avant, ce soir est veuve.
Le bébé, porté dans le ventre de sa mère, ne poussera jamais son premier cri.
L'arbre de Paix, où les rois de Castille prêtaient serment de respecter les "Fors basques" (droits), est à terre.
L'église miraculeusement épargnée tend vers le ciel sa croix métallique, implorant Dieu d'arrêter ce massacre.
Mais aujourd'hui, Dieu est aux abonnés absents !…

 Guernica n'est plus.DSC00220

Nous marcherons avec respect, dans cette ville martyre entièrement reconstruite, en pensant à la déraison de ces fous de pouvoir que sont tous les dictateurs des temps modernes.
Ce matin au départ de Markina, nous longeons la rivière Artibai.
Puis nous traversons Bolibar, village natal des ancêtres de Simon Bolivar.
Sous le préau de l'église, nous voyons pour la première fois, ces tables de pierre, sur lesquelles on ratifiait aussi bien les actes de mariage, que les écrits juridiques.
Petite pause à l'abbaye de Ziortzia, heureux mélange d'art gothique et plateresque (XIVe et XVe siècle)
Photo d'une poutre étrange en forme de tête de serpent et symboles solaires basques.

Ha ! ha !…. Le diable n'est pas loin…DSC00205

 Le blason à l'entrée du porche nous intrigue.
Un aigle tient un crâne humain dans ses serres.
 

Le 15 Août 965, lors d'une messe en l'ermitage de Santa Lucia de Gara, près de Gerrikaitz, un aigle s'empara d'un crâne dans un ossuaire. IL s'envola à tire d'ailes et le laissa tomber sur le flanc du mont Oiz. La population décida de construire sur ce lieu un monastère.DSC00209

 

Nous poursuivons notre chemin jusqu'à Munitibar

Deux kilomètres avant je dis à Étienne :
- J'en ai marre ! J'ai mal aux pieds ! Je veux un village avec une place ombragée, une fontaine, un bar.
À Munitibar mon souhait est exaucé dans son intégralité.
Les pieds en bouquet de violettes, on prend un repos mérité.
On nous sert une salade magnifique avec filets de thon, tomates, salade verte et… qu'est-ce que c'est ? 
Une jeune fille à côté de nous, nous explique ce qu'est la "gula del Norte"
Explication : il s'agit de fausses civelles, les vraies coûtant horriblement cher, ceci est un succédané dont le goût s'en approche.
Absolument délicieux.
Nous sympathisons avec la jeune fille et lui montrons la photo du petit personnage avec son chat,
- C'est une bruja (brrrroura), elle nous mime un personnage tournant un bâton dans un chaudron.
- Sorcière ?…
- Si, sorcière…
Nous éclatons de rire et Étienne me dit : 
- C'est toi la sorcière, tu as demandé une place, un bar, une fontaine et tes vœux sont exaucés !
Le surnom me restera.
À Santiago, Étienne m'offrira un très joli pendentif, "la Bruja de la Suerté", la sorcière de la chance.
Nous arriverons à 18 h à Guernica.
Albergue Gernika…
La surprise est totale quand on nous demande 21,20 € par personne, alors que sur mon bouquin c'est 12 € !…
La chambre est petite, les lits collés les uns aux autres. Nous ne sommes pas loin de nous prendre pour des sardines. Manque juste l'huile d'olive !…
Un conseil :
Promenez vous avec votre sac à dos. Vous serez très vite apostrophé par des retraités,
qui mettent des chambres à votre service pour 10/15 €. Draps frais, contact avec l'habitant, c'est nettement mieux qu'une albergue et en temps de crise cela leur donne des petits sous en plus.

Mardi 26 juin
Qui veut voyager loin, ménage sa monture !

Aujourd'hui, journée repos, après 9 jours de marche.
Visite de Guernica, puis direction la gare, car nous avons rendez-vous demain à Bilbao avec Mister Hockeney.
Je sais, je sais, je vais faire bondir les puristes qui font le chemin à pied et rien qu'à pied.
Mais je pense que nous avons pris un peu de retard et nous avons notre coupe-file pour Guggenheim le 27.
Dans le train nous parlons des origines basques.
La veille au soir, dans une "taberna", rencontre avec un érudit. Il nous parle avec passion des sons existants entre le basque et l'étrusque.Théorie de Jorge Alonso Garcia.
D'autres études basées sur l'ADN, prouvent que les Basques descendraient d'un mélange caucasien et sibérien asiatique.
Pour en savoir plus, tapez sur votre moteur de recherche
 Langue basque et étrusque… et… Bon courage !!!!! 
Car il y a de tout et du n'importe quoi.
Bref, une théorie reste une théorie, jusqu'à ce qu'une autre théorie balaye toutes les autres théories !
Vous me suivez ou vous avez décroché ?….
Nous nous offrons le luxe d'un hôtel à Bilbao et profitons de la nuit espagnole.
Les rues sont vivantes, bruyantes, colorées. Étienne est ravi et commence à aimer l'Espagne.
Nous terminons la soirée à la Déliciosa par un repas arrosé au Rioja (riora).

 Mercredi 27 juin
10 h Musée de Bilbao
L'araignée, pourquoi l'araignée ? Parce que ma meilleure amie était ma mère, et qu'elle était aussi intelligente, patiente, propre et utile, raisonnable et indispensable qu'une araignée. Elle pouvait se défendre elle-même.      
Louise Bourgeois

Nous arrivons par une petite rue, qui aboutit sur l'avenue Abandoibarra.
Face à nous, le pont "la Salve" enjambe la ria de Bilbao.
Nous le prenons pour découvrir le musée, côté nord. Il forme un gigantesque paquebot amarré le long du fleuve.
"Maman " l'arachnide gigantesque de Louise Bourgeois nous tend ses pattes grêles et son abdomen renflé prêt à pondre.
L'artiste a voulu, entre autres, par cette représentation, faire honneur au métier de sa mère qui restaurait des tapisseries anciennes dans son atelier.DSC00259Puppy nous accueille avec ses fleurs multicolores. Jeff Koons porte sur le monde un regard chargé d'humour. Il ne sculpte pas, mais c'est un "chaudron" d'idées.
Il fait réaliser ses œuvres par une centaine d'assistants et rien n'est laissé au hasard.
La technicité de ses sculptures est indéniable.
Pour certain c'est un génie, pour d'autre un fumiste.
À vous de choisir !
Pour ma part, j'aime la fraîcheur de ses œuvres.
Et puis, "c'est" pas n'importe quel homme, celui qui ose épouser la Cicciolina, ex-actrice porno et ex-parlementaire !…DSC00256

Nous pensions rester 2 h… Nous ressortirons à 15 h 30 sous une chaleur torride.

Lorsque Frank Gehry vit l'emplacement où on lui demandait de construire ce qui deviendra l'emblème de Bilbao. Il eut tout de suite un coup de cœur pour ce lieu.
Dès son retour à l'hôtel, il dessina au dos d'une enveloppe, les grandes lignes du futur musée.
Le port, l'eau… Que de souvenirs pour lui.
Il se souvint, mais c'était si loin… Il se souvint de son enfance et de sa grand-mère !
Lorsqu' ils allaient, le samedi matin, main dans la main, acheter la carpe !… En rentrant à la maison, doucement, avec précaution, ils la mettaient dans l'eau… Dans la baignoire…
Et là, avec ravissement, le petit enfant qu'il était, contemplait dans le soleil de midi  les reflets d'argent des écailles du poisson.
Et il rêva !... Comment reproduire cette impression ?

Les centaines de plaques martelées, recouvertes d'une "peau de titane" (½ mm d'épaisseur) qui habillent le bâtiment furent la solution à son problème.
Bon, au revoir Bilbao, (je reviendrai) et bonjour Portugalette. Nous avons encore de la route à faire.
Portugalette, souvenir impérissable.
Nous atterrissons dans un hôtel lugubre, le Santa Maria.
Une chambre misérable, sentant le tabac froid, des sanitaires plus que sales et le plus beau reste à venir. Pas le choix, il est tard, il n'y a plus que ça !
Nos sacs déposés, nous allons visiter l'église.
Des dames patronnesses prennent un chocolat chaud en devisant gaiement dans la sacristie, le bedeau, seul homme, dans cet essaim d'abeilles bourdonnantes, nous convie à partager ce moment de gaieté.DSC00300

Nous acceptons et je fais tamponner ma crédentiale. Étienne se régale à faire des photos.
Il faut vous dire que l'église contient des merveilles. 
Le chocolat chaud lui aussi est une merveille !
Il est tellement épais que la petite cuillère tient debout dans la tasse (2 000 calories au centimètre cube !). 
Le soir nous retrouvons Bernard de la Barquera attablé devant un vino Tinto. Nous lui faisons découvrir le Txacoli et cassons une petite croûte ensemble. La première fois que nous l'avons rencontré c'était au gîte d'Hendaye. DSC00310

Il avait fait une mauvaise chute à la suite d'une bousculade.
Déséquilibré par son sac, il était tombé en avant sur des marches d'escalier et souffrait d'un décollement du muscle jambier.
Le médecin lui avait prescrit un repos total pendant 1 semaine.
Retour à l'hôtel, je passe à la salle de bain, allume la lumière et là… Horreur, malheur, des blattes grouillent partout, sur les murs, par terre, dans la douche, sur le rebord des WC !
Les draps manifestement ont déjà servi.
Nous déplions nos sacs de couchage et pour repousser les bestioles, laissons la lumière, dans le cabinet de toilettes.
Bonne nuit !

 

 

Publié dans Camino del Norte 2012

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